3e Symposium Suisse des Traductrices et Traducteurs littéraires – La traduction littéraire entre droits et critique : le troisième symposium de l’AdS

Le 16 septembre dernier, dans la salle oblongue dite « Arsenale » du plus grand des châteaux de Bellinzone (journée splendide, avec un soleil qui n’a pas fait douter de lui un seul instant), s’est tenu le 3e symposium des traductrices et traducteurs littéraires, organisé par l’AdS en collaboration avec Pro Helvetia, le collège de traducteurs Looren et le Centre de Traduction Littéraire de l’Université de Lausanne (CTL). Mais gardons-nous d’oublier le contexte dans lequel la rencontre s’est tenue : Babel, le Festival bellinzonais de littérature et de traduction, dont la sixième édition, consacrée à la Palestine, démarrait juste à la fin du symposium. Une manifestation qui fait de la Suisse – pour reprendre les mots d’Alberto Nessi (dans son allocution d’ouverture) – « un pays ouvert, contre les tendances mesquines à la fermeture et au nationalisme ».

Le programme du symposium était concentré sur deux thèmes spécifiques :: les droits d’auteur et la critique de la traduction. A la première intervention de Nessi, qui a lancé le débat en citant Walter Benjamin et sa métaphore géométrique sur la traduction comme tangente du cercle, qui d’abord se rapproche et ensuite s’éloigne, a suivi l’introduction de Nicole Pfister Fetz, qui a rappelé avec précision – dans un compte rendu non dénué d’allusions aux réactions et aux humeurs des milieux intéressés – la chronologie de la loi sur l’encouragement de la culture (LEC) et du Message sur la culture.

Premier conférencier de la journée, Werner Stauffacher, vice-directeur de ProLitteris, Société suisse de droits d’auteur pour l’art littéraire et plastique, a centré son discours sur les droits des traducteurs, trop souvent ignorés ou sous-estimés. Il a insisté, en particulier, sur les droits explicites des traducteurs littéraires, à savoir ceux relatifs au texte traduit, considéré comme une oeuvre dérivée (au même titre, par exemple, que l’adaptation d’un livre pour le cinéma) et donc protégé. Rappelant par ailleurs que, tandis qu’un texte peut être cédé (par contrat), les droits de la personnalité de l’auteur ne sont pas cessibles : l’auteur, et donc aussi le traducteur, doivent toujours être cités de façon bien visible.

Après le repas communautaire (pour ainsi dire), c’est Theresia Prammer, traductrice et critique allemande, qui a pris la parole. Une intervention très directe, dure et polémique, malgré la présence calme, aux tonalités uniformes, de l’oratrice, qui a commencé en expliquant que la traduction littéraire était la Cendrillon non seulement de la littérature, mais aussi de la critique littéraire. Les traductions – a-telle insisté – sont trop souvent sujettes à l’examen d’« experts » qui, en réalité, n’ont pas de véritables notions en la matière et se contentent de juger selon des clichés et des approximations. Comment peut-on, par exemple, critiquer une traduction quand on ne connaît pas les deux langues impliquées ? La critique doit être plus ouverte et plus prudente dans la distribution de jugements qui poussent le traducteur à l’aliénation.

Dernier rendez-vous au programme, une table ronde animée par Martin Zingg, avec pour invités Dori Agrosì (rédactrice responsable de la revue électronique La Nota del Traduttore, www.lanotadeltraduttore.it), la traductrice Yla von Dach, le critique Beat Mazenauer (initiateur, entre autres, du site www.readme.cc) et la même Theresia Prammer. La discussion s’est tout de suite focalisée sur la critique de la traduction (« vu qu’on en parle peu, commençons par là », a lancé Zingg). Dori Agrosì a expliqué que sa revue veut donner de la place aux traducteurs justement parce que « s’il y a quelqu’un qui doit parler de traduction, c’est d’abord le traducteur ». Yla von Dach a insisté pour sa part sur la difficulté qu’il y a à évaluer un texte de l’extérieur, vu que la traduction « a plusieurs couches » et est un « processus lent et profond » : impossible d’en rendre compte superficiellement, il faut considérer l’ensemble. Beat Mazenauer, tout en répétant combien il était important de respecter le traducteur, a défendu le droit au silence sur la traduction quand on ne connaît pas la langue d’origine : « si je lis un livre en traduction, que je ne suis pas dérangé par l’écriture et que ce livre me plaît, pourquoi ne devrais-je pas pouvoir en parler ? ». Theresia Prammer est revenue sur la « différence entre critique littéraire et critique de la traduction », cette dernière passant forcément par la connaissance des deux langues en question ; « c’est une illusion, a-t-elle ajouté, de croire qu’on peut adapter toutes les langues dans la sienne ! ».

C’est à nouveau Alberto Nessi et Nicole Pfister Fetz qui ont clos le symposium. L’écrivain tessinois, à la lumière des discussions qui avaient précédé, s’est déclaré coupable de n’avoir pas cité, en ouverture, l’auteur de la traduction de Benjamin dont il s’était servi. « Je crois, a-t-il conclu amusé, qu’il s’agit de Renato Solmi. Même si, maintenant que j’y pense, cette hésitation aggrave ma position ». (Ou peut-être pas, puisque l’auteur de la traduction est justement Solmi.)

Epilogue avec promenade jusqu’au « barBabel », à côté du Teatro Sociale, pour un apéritif et un brin de causette. Sous un ciel peut-être déjà endormi, le passant qui aura traversé la Piazza della Foca entre 17h30 et 18h aura sans aucun doute pu entendre les voix allègres du cercle familier (où se tient « la fragile vie », comme l’écrit Aurelio Buletti dans un de ses beaux poèmes).

Yari Bernasconi

Traduction : Christian Viredaz


Yari Bernasconi, responsable de l’édition italienne de la revue littéraire suisse Viceversa et directeur artistique du Service de Presse Suisse, travaille actuellement à une thèse de doctorat sur Giorgio Orelli (à l’Université de Fribourg). Il a publié en 2009 Lettera da Dejevo (Alla chiara fonte), son premier recueil de poèmes.

 

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