8e Symposium suisse des traductrices et traducteurs littéraires Samedi 5 novembre 2016, Institut littéraire suisse, Bienne

Davantage que « boum, tchac ! »
Flic flac – Türklapp – brouhaha – ehi ! – smack – trotti trotta – ah ! ah ! – glouglou – miam – grat grat – ooohhh – clap clap ! – Tel pourrait être le résumé (plurilingue) du symposium en langage de bande dessinée, de l’arrivée dans la pluie à l’Institut littéraire suisse aux applaudissements finals à la Bibliothèque de la Ville en passant par les rencontres et les ateliers, et l’exquis ravitaillement. Mais bien que les expressions onomatopéiques de ce genre aient été régulièrement citées lors de ce symposium consacré à la bande dessinée et au roman graphique, elles ne sont naturellement de loin pas la seule chose qui caractérise ce genre littéraire particulier et qui préoccupe ses traductrices et traducteurs. On a pu en apprendre bien plus : des conseils pratiques sur la manière dont on devient traducteur (de bande dessinée), dont on trouve une maison d’édition et dont la collaboration avec celleci s’organise, à la discussion d’aspects spécifiques des traductions de ce type, que ce soient des questions touchant l’oralité, la combinaison du texte et des images, ou encore le lettering (l’inscription des caractères dans les bulles).

Comment le livre arrive-t-il à la maison d’édition ?
Après l’accueil enjoué de la présidente de l’AdS, Jacqueline Aerne, et la rétrospective de la secrétaire générale Nicole Pfister sur les activités de l’AdS, du CTL, du Collège de traducteurs Looren et de Pro Helvetia au cours de l’année écoulée, Camille Luscher a animé une discussion avec Caroline Coutau, des Éditions Zoé, et Daniela Koch, de Rotpunktverlag (avec sa nouvelle collection de belles-lettres Edition Blau). Les deux éditrices ont exposé quelle part les traductions prennent dans leur programme, comment elles décident qui traduit quel livre, et comment s’organise le travail avec les traducteurs. Bien qu’il existe en Suisse un bon soutien pour les livres traduits (à condition que l’auteur et/ou la traductrice soient Suisses ou vivent en Suisse), la publication d’une traduction constitue toujours un plus grand risque financier que celle d’un livre en langue originale. Pas seulement parce qu’il faut payer les droits et la traduction, mais aussi parce que le succès est difficilement prévisible : le traducteur trouvera-t-il le ton juste ? Et le livre sera-t-il bien accueilli dans une autre langue et une autre culture ? Il y a des auteurs qui jouissent d’une grande réputation dans leur aire linguistique et qui passent complètement inaperçus en traduction, tandis que d’autres oeuvres touchent un bien plus grand public dans la version traduite que dans l’original. S’agissant de la promotion, des questions délicates ont suscité de vives discussions : chez Zoé, le nom du traducteur figure depuis quelques années sur la couverture : pourquoi n’en va-t-il pas de même chez Rotpunktverlag ? Et qu’en est-il des honoraires des traducteurs pour des lectures publiques ou des présentations de livres ?
En conclusion, les conseils des deux éditrices aux traducteurs qui veulent proposer un texte peuvent se résumer ainsi : examinez bien le programme des maisons d’édition et choisissez-en une à qui le texte pourrait convenir. Joignez à votre proposition un échantillon de traduction d’au moins 25 000 signes. Si ces deux conditions sont remplies, reste à espérer que l’éditrice trouvera le temps de vous lire et qu’elle soit alors fraîche et dispose...

GOOD GRIEF ! Scènes de la vie quotidienne d’un traducteur de bandes dessinées
Après le déjeuner debout, le rédacteur et traducteur de bandes dessinées Matthias Wieland, qui vit à Hanovre, déclencha un véritable feu d’artifice d’informations, d’anecdotes et d’exemples tirés de la vie quotidienne d’un traducteur de BD. Il raconta comment il a pu presque par hasard faire de sa passion précoce sa profession, décrochant un emploi dans une maison d’édition et étant chargé peu après du travail rédactionnel sur les Simpsons. Licencié par la suite lorsque la maison d’édition a été reprise, il a reçu en même temps le mandat de traduire les textes lui-même, ce qu’il fait depuis lors en indépendant. Chez Carlsen, il a pu reprendre la traduction des Peanuts. S’y est ajouté la prise en charge de l’édition complète de Calvin et Hobbes. Si au début, quand on lui demandait sa profession, il répondait timidement : « Je traduis, mais seulement des bandes dessinées », il déclare aujourd’hui, plein d’assurance : « Je traduis exclusivement des bandes dessinées ». Selon Wieland, les traducteurs de BD doivent encore mieux connaître la langue cible que les autres, surtout pour ce qui est de la capacité de transposer les dialogues de façon crédible et cohérente. Par ailleurs, ils doivent avoir des nerfs d’acier, car ils travaillent souvent dans l’extrême urgence. Comment trouver en dix minutes le gag qui colle à l’image, la traduction adéquate d’un jeu de mots, l’exclamation qui entre dans la bulle ? Bien que les traductions de bandes dessinées s’améliorent elles aussi à chaque remaniement, le temps et l’argent manquent souvent pour réaliser plusieurs versions. À cet égard, elles sont souvent plus proches des sous-titrages et des versions synchronisées pour le cinéma. Pour les jeux de mots, le traducteur a parfois une idée lumineuse, mais il doit aussi parfois jeter l’éponge. Il est fascinant aussi de suivre la manière dont les traductions de classiques du neuvième art évoluent. Qui aurait cru que, dans la première version, Spiderman s’appelait encore Die Spinne, l’araignée ? Et que faire lorsqu’une bande dessinée américaine cite des personnages qui sont parfaitement inconnus dans l’Allemagne d’aujourd’hui ? Le traducteur doit-il recourir à des personnages correspondants de son environnement, ou à des notes en bas de page ? Reste que les enfants d’aujourd’hui sont davantage familiarisés avec d’autres cultures (surtout des États-Unis) que ce n’était le cas autrefois.

La célèbre traductrice des bandes dessinées de Walt Disney Erika Fuchs, qui n’a certes pas usurpé sa haute réputation, s’est permis beaucoup de libertés. Elle a créé de vraies oeuvres d’art, mais qui n’étaient pas toujours fidèles à l’intention de l’auteur. Ainsi, la critique sarcastique du capitalisme, dans Dagobert Duck (Oncle Picsou), tend plutôt chez elle vers le conte de fées, par exemple lorsqu’elle traduit « dollars » par « Taler ». À quoi pourrait-bien ressembler aujourd’hui une nouvelle traduction des histoires de l’oncle Picsou ?

Ateliers de traduction dans trois langues cibles différentes
Après l’exposé général, les participants se sont répartis en quatre ateliers. Avec l’allemand pour langue cible, on avait le choix entre « Nicht nur Peanuts – Humor übersetzen », animé par Matthias Wieland, et « Die mörderische Rosalie – Knacknüsse beim Übersetzen von Jacques Tardis Kriegs-Comic » avec Christoph Schuler, éditeur et traducteur des éditions zurichoises Edition Moderne. Après les funnies, les bandes dessinées humoristiques américaines de Groening, Schulz ou Watterson, un autres aspect important du genre était ainsi abordé avec le Français Jacques Tardi : les bandes dessinées traitent aussi des thèmes sérieux comme la Première ou la Deuxième Guerre mondiale, se situant alors fréquemment à la frontière entre fiction et documentaire. Et qui donc ou qu’est-ce que Rosalie ? C’est ainsi que les poilus, les soldats français de la Grande Guerre, appelaient la baïonnette.

On a pu traduire en français avec la Genevoise Nathalie Decorvet, qui avait amené une histoire de l’auteur italien Sualzo. Quant aux italophones, ils se sont divertis avec des parodies littéraires et des questions de genre dans des exemples rassemblés par Daria Biagi. Requinqués par un « apéro amélioré », les participants se sont finalement rendus, sous des trombes d’eau, à la Bibliothèque de la Ville de Bienne pour la dernière partie du programme.

L’art de la traduction de bandes dessinées
Ulrich Pröfrock, traducteur du français et de l’anglais en allemand, et Fabrice Ricker, traducteur de l’allemand en français, se sont entretenus de leur travail dans un débat animé par Martin Zingg. Comment en sont-ils arrivés à la traduction de bandes dessinées ? Ulrich Pröfrock, qui a une librairie de BD à Fribourg en Brisgau, s’est rendu compte en lisant les versions allemandes de ses albums français (ou africains, ou belges) préférés, qu’en fait il pouvait faire mieux. Mais comment, avec deux professions aussi chronophages et mal payées que libraire et traducteur, il arrive à s’en sortir financièrement, cela reste une énigme. Heureusement qu’il gagne des prix, comme le célèbre Prix de traduction Christoph Martin Wieland 2015 pour la satire politique Quai d’Orsay de Blain & Lanzac !

Fabrice Ricker, de son côté, voulait avec les albums de Ralf König montrer à ses compatriotes, d’une part, que l’homosexualité n’est pas un problème et, d’autre part, que même les Allemands (certains) ont de l’humour. Les deux choses, déplora- t-il, ne lui ont que moyennement réussi : si, en Allemagne, gays et hétéros achètent volontiers et souvent les livres de König, c’est tout juste si, en France, on se les procure, à la sauvette et d’un air gêné, dans des librairies anonymes.

La discussion a porté ensuite sur les registres linguistiques de l’oralité, sur la traduction de citations et de références culturelles, jusqu’à évoquer la nécessité (dans de rares cas) d’agrandir les bulles, voire de faire redessiner certaines planches. Ce faisant, le principe du symposium, « chacun dans sa langue », se trouvait appliqué d’une manière toute particulière, Ulrich Pröfrock s’exprimant en français et Fabrice Ricker en allemand : façon de montrer que, chez les traducteurs, « ma » et « ta », se référant à la langue, sont des notions extensibles. Et ils ont démontré de manière impressionnante que l’exigence de qualité à l’égard de son propre travail est une condition essentielle pour que celui-ci soit dûment reconnu. Ulrich Pröfrock et Fabrice Ricker, eux aussi, traduisent « exclusivement » et non pas, à coup sûr, « seulement » des bandes dessinées !

Ruth Gantert

Traduction : Christian Viredaz

 

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